L’Intelligence Artificielle, le « grand remplacement », vraiment ?

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Il était Keynote Speaker de la dernière édition de .Connect. Lors de sa conférence et dans « La guerre des intelligences - à l’heure de ChatGPT », le chirurgien et essayiste Laurent Alexandre nous explique le changement de civilisation à venir.

« Dans mon domaine, celui de la médecine, je n’imaginais pas qu'une IA arriverait à lire en 15 secondes un dossier médical mal écrit et non structuré, avec de l'argot, des mots coupés et des fautes d'orthographe avant 2040-2045. Et pourtant… »

Pour Laurent Alexandre, tout se joue aujourd’hui. Le futur qu’on imaginait pour 2040 ou 2050, c’est… maintenant ! De là, mille questions. Quels scénarios l’Humanité devra-t-elle choisir ? Faut-il accepter le vertige transhumaniste qui nous « upgrade » biologiquement mais nous maintient Homme ? Fusionner avec l’IA en devenant des cyborgs ? Interdire ou limiter puissamment l’IA ? C’est à cette réflexion fondamentale et passionnante que l’essayiste nous invite.

« Je connais un millionième de la médecine. Demain, ce sera un milliardième. Pourquoi, dès lors, lutter contre l’IA ? Une infirmière aidée de ChatGPT peut aujourd’hui établir un meilleur diagnostic que moi ! C’est dur d’encaisser ça, j’ai tant étudié. Mais c’est la réalité ! » Et de rejoindre le point de vue du magazine Foreign Policy qui résume la question par un « c’est l’IA qui va gagner la course à l’IA ».

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"Il faut 30 ans pour former un ingénieur ou un radiologue, quelques heures pour éduquer une IA. Que fait-on ?"

ChatGPT, le « Sputnink Moment ». Cette fois, c’est pour tout le monde. « Un changement civilisationnel que l’on n’a pas vu arriver », soutient Laurent Alexandre. Inclassable, tout à la fois docteur en médecine, chirurgien et neurobiologiste ; pour beaucoup, l’homme est d’abord le fondateur de Doctissimo. Mais aussi président de DNAVision, chroniqueur et essayiste ; il a signé des ouvrages tels que « La Mort de la mort » (2011), « La Défaite du cancer » (2014) et, cette année, « La guerre des intelligences - à l’heure de ChatGPT » (JC Lattès).

A l’entendre, nous avons surestimé le potentiel de l’IA de 1956 à 2012 et l’avons sous-estimé depuis 2012. « Personne n’a anticipé les progrès foudroyants de ChatGPT depuis la version 3.0. L’accélération récente nous conduit à projeter sur l’IA beaucoup de fantasmes, ce qui rend difficile une réflexion lucide. » Y compris chez les scientifiques. Les trois inventeurs des réseaux de neurones profonds s’interrogent. En avril dernier, Yann Le Cun a affirméque l’IA dépasserait avec certitude le cerveau humain. Geoffrroy Hinton s’inquiète de notre capacité à contrôler l’IA, qui pourrait anéantir l’humanité. Yoshua Bengio, enfin, craignant un risque majeur pour l’humanité, soutient l’interdiction des recherches sur ChatPGT 5. Renoncer, vraiment ? « Parler d’un moratoire n’a pas de sens. Nous n’avons pas le choix, nous devons avancer. Sans quoi, ce serait laisser à la Chine le leadership. Et nos enfants auraient alors madarin en première langue ! »

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Quid, demain, de la valeur travail ?

Et tout, désormais, ira vite, de plus en plus vite, pronostique Laurent Alexandre. Sam Altman, le patron de ChatGPT, s’est dit convaincu que la super-intelligence artificielle sera là avant 2030. « Il n'y a pas de certitude que nous y parviendrons, mais je constate qu'il y a de plus en plus de chercheurs, une grande majorité, même, qui sont aujourd'hui convaincus que l'IA nous dépassera dans tous les domaines. »

De fait, dans un contexte où l’on sait que nous n’utilisons que 5 à 10 % de nos capacités cognitives, cela va provoquer des répercussions majeures. Qui, par exemple, de la valeur travail ? Quid, en particulier, du partage des gains de productivité, lesquels constituent le point de tension entre le capital et le travail ? À partir du moment où la révolution industrielle liée à l’intelligence artificielle est mise en œuvre par le capital, cela signifie que les gains de productivité qui en découlent pourraient être accaparés par le capital au détriment du travail. « Cela pourrait conduire à l’automatisation de tous les métiers qui peuvent l’être -à mon avis, cela touchera directement ou indirectement 20 à 25 % de la population active mondiale », estime l’essayiste.

Pourrions-nous entrer dans une phase d’hypercroissance ?

Et d’y voir une opportunité, voire une formidable opportunité. « Ceux qui sont opposés aux nouvelles technologies et à l’IA n’ont pas compris ce qui allait advenir et le caractère inéluctable de ces avancées, estime Laurent Alexandre. Ces technologies vont rendre caduque le paradigme de la décroissance. Nous rentrons dans une phase d’hypercroissance, d’hypertechnologie, d’hyperscience… et d’hyperchangement avec des bouleversements profonds. Les techno-réactionnaires et tous ceux qui s’opposent à toutes les évolutions et à l’arrivée d’une révolution technologique comme ChatGPT font face à d’incroyables contradictions qu’ils ne peuvent résoudre. »

Pour un mieux ? Nous sommes entrés dans une phase d’hybridation avec la machine. Elle a commencé avec le développement du réseau Internet, les smartphones et les réseaux sociaux. Et elle va s’accélérer. « ll y a eu un véritable fossé entre GPT3.5 et GPT4… en à peine 103 jours ! Nous sommes probablement pour quelques années dans cette phase d’explosion, à l’orée des intelligences artificielles générales. Nous sommes entrés dans une phase bouleversante sur le plan philosophique et politique, et je ne crois pas qu’il y ait un plafond de verre dans les cinq prochaines années… »

Pourquoi, encore, former aux métiers d’hier ?

Quid, dans ce contexte, de l’enseignement ? « Peut-on encore se baser sur une école qui n’a pas évolué depuis 250 ans qui forme aux métiers d’hier et qui n’a pas intégré le bouleversement inévitable que l’IA va provoquer sur le marché du travail ? »

Bref, comment faire pour que nos cerveaux biologiques résistent à l’IA et restent complémentaires ? Comment nos enfants pourront-ils rester compétitifs face à l’IA ? Comment l’éducation, non totalement darwinienne, trouvera-t-elle sa place à côté des cerveaux de silicium boostés par les moyens presque infinis des GAFA et autres géants américains et chinois ? Quels scénarios l’Humanité devra-t-elle choisir